En pleine «deuxième vague» de Covid, médecins, infirmiers et membres du secteur médico-social ont défilé ce jeudi à Paris pour réclamer embauches et revalorisations.
«Si nous sommes en crise ce n’est pas parce qu’il y a trop de malades. C’est parce qu’il n’y a pas assez de soignants et pas assez de lits» : au micro, Christophe Prudhomme a presque perdu sa voix au milieu des manifestants réunis place Vauban à Paris à l’appel des syndicats de soignants. Au programme de l’intervention du porte-parole de l’association des médecins urgentistes et délégué CGT, les principales revendications du personnel soignant depuis le début de l’épidémie de covid : embauches massives et immédiates, revalorisation des salaires et amélioration des conditions de travail de l’ensemble des personnels. Pour Marie-Pierre M., jeune infirmière et membre du Collectif inter-urgence, il faut arrêter de parler de la «vocation» des soignants, dont les conditions de travail se dégradent. «Je déteste cette notion de vocation parce qu’elle nous met dans une position dans laquelle on est capable de tout accepter. Moi, je n’ai pas la vocation, j’ai fait ce métier comme ça, j’ai trouvé ça intéressant et j’ai continué», explique la jeune femme vêtue d’une surblouse bleu clair prête à défiler jusqu’au ministère de la Santé. Avant d’ajouter: «C’est un métier pour lequel je me suis formée, j’ai appris et j’ai développé des compétences or les compétences ça se rémunère, ça se valorise et ça se reconnaît et aujourd’hui n’est pas le cas du tout.»
Jennifer, elle, a quitté son emploi en maison de retraite au bout de seulement cinq mois. Burn out. «J’étais toute seule pour 80 personnes on aurait dû être deux normalement. C’était clairement de ma faute selon la direction», raconte la jeune femme de 27 ans qui entre-temps a retrouvé un emploi dans un laboratoire. A ses côtés, Charline d’un an sa cadette. Infirmière à Meaux, elle confie avoir elle aussi travaillé dans des situations très complexes depuis le début de l’épidémie de coronavirus: «C’était la galère on était obligé de s’habiller avec des sacs-poubelles, on a fait comme on a pu, et depuis ce mois-ci on n’a même plus de masque». Diplômée depuis cinq ans, Charline ne pense pas qu’elle fera ce métier toute sa vie: «C’est ma passion, mais je peine à trouver la motivation.» A quelques mètres, Emmanuel D. infirmier au centre hospitalier d’Aurillac (Cantal), et représentant du personnel. S’il ne se sent «pas encore» dégoûté par son métier, il constate depuis le début de sa carrière une évolution «qui ne va pas dans le bon sens». «Nous, on a des problèmes en plus qu’il n’y a pas sur Paris, pour 150 000 personnes on n’avait qu’un neurologue, sans compter les autres spécialités médicales qui sont totalement sinistrées. Les médecins choisissent d’aller en métropole et dans les territoires paumés comme le nôtre, on est complètement abandonnés. On n’a même des services entiers qui ont fermé, c’est terrible», déplore l’homme de 47 ans.
«Des noms et des visages» derrière les chiffres de l’épidémie
Pour l’urgentiste Christophe Prudhomme, le problème ne vient pas du fait qu’il manque des jeunes pour travailler dans le secteur médical, c’est l’Etat qui ne fait pas son job. «L’an dernier il y avait 100 000 demandes d’inscriptions dans des écoles d’infirmière pour 30 000 places donc il n’y a pas de crise de vocation mais un refus des conditions de travail dégradées», explique-t-il. Mais cela pèse sur le secteur: «Il y a 150 000 infirmières qui n’utilisent plus leur diplôme, sans compter les jeunes qui rentrent dans des écoles et qui au bout d’un an abandonnent les études. Lors du premier stage quand ils voient leurs futures conditions de travail, ils ne s’imaginent pas travailler dans ce milieu pendant vingt-cinq ou quarante ans.» Député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu confirme que dans son département il y a trois fois moins de lits de réanimation par habitant que dans les Hauts-de-Seine ou dans le Val-de-Marne. «Il s’agit du département qui a eu le plus fort taux de mortalité lié au covid, et que, sept mois après, il n’y a pas un lit de réanimation supplémentaire », s’emporte le parlementaire.
Car derrière les revendications structurelles, c’est la gestion de la pandémie par les autorités qui est pointée du doigt par les manifestants. Infirmier depuis 1984 à l’AP-HP, Thierry regrette que la première vague de covid-19 n’ait pas servi d’exemple pour la gestion des nouveaux cas. «Ce qu’il faut bien comprendre c’est que lors de la première vague, faute de lits, on a dû faire des choix sauf que ces choix pour le gouvernement ce sont des chiffres. Or ces chiffres pour nous ce sont des noms, des visages, des scènes et des histoires de vie et je ne veux pas que ça arrive de nouveau», confie l’infirmier.
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