« La solidarité internationale n’a pas du tout fonctionné et c’est une honte pour les pays riches. » Le verdict d’Esther Duflo est sans appel. Lors d’un entretien accordé samedi 5 décembre au Monde et à la chaîne TV5 Monde, la lauréate du prix Nobel d’économie a fustigé l’indifférence de la communauté internationale vis-à-vis des pays pauvres frappés par la crise économique et sociale et suggère la création d’un « plan Marshall » pour leur venir en aide. Non seulement ces pays connaissent la pire récession de ces trente dernières années, mais ils n’ont aucun moyen d’y faire face.
Où trouver les ressources nécessaires à la relance alors que leurs recettes budgétaires sont en baisse et qu’ils sont incapables d’emprunter ? « Quand on est l’Europe, on peut s’endetter quasiment gratuitement, quand on est le Togo, c’est quasiment impossible, constate la professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Or, si les pays riches ont dépensé des milliers de milliards d’euros et de dollars pour soutenir leurs propres économies, ce qui était la bonne chose à faire, malheureusement ils n’en ont même pas distribué des miettes aux pays pauvres. »
« Avez-vous sauté un repas ? »
Cette absence de solidarité internationale plonge des milliards d’habitants dans de graves difficultés. Selon une vaste enquête menée dans 28 pays à bas et moyen revenu, publiée récemment par la Banque mondiale, 60 % des foyers interrogés disent avoir connu une baisse de leurs salaires en 2020. Les pays pauvres ont été les plus touchés, avec près de 80 % des foyers au Malawi ou au Sénégal déclarant une diminution de leurs ressources financières.
A la question « Avez-vous sauté un repas au cours des trente derniers jours par manque d’argent ou d’autre ressource ? », 71,3 % des Nigérians, 67,7 % des Gabonais, et 30,3 % des Colombiens ont répondu par l’affirmative. Les baisses de revenu augmentent les risques de malnutrition, accélèrent le nombre de mariages d’enfants ou d’adolescents et réduisent les taux de scolarisation. La Banque mondiale a calculé en juin dernier qu’au moins 6,8 millions d’adolescents quitteraient l’école en raison de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19. Les pays du G20 n’ont accordé aux pays pauvres qu’une suspension du remboursement de leurs échéances jusqu’au printemps 2021
« C’est précisément dans cette période de crise que l’on aurait besoin d’une aide et d’une coopération internationale qui fonctionne, car les pays riches sont capables de mobiliser des fonds importants qu’ils auraient dû et qu’ils auraient pu donner ou prêter », avance Mme Duflo. David Beasley, le directeur général du Programme alimentaire mondial s’est récemment inquiété de ne pas pouvoir réunir les 5 milliards de dollars pour éviter l’apparition de famines en 2021 « alors que les milliardaires se sont enrichis de 2 700 milliards de dollars lors de ces quatre derniers mois ».
Lemonde