Ce samedi 31 octobre, le pays s’est scindé en deux. Le camp Ouattara a annoncé une participation massive tandis que l’opposition a boudé le scrutin présidentiel. Madina Sylla est une femme enthousiaste et au verbe facile. En ce jour d’élection présidentielle, samedi 31 octobre, cette commerçante de 35 ans a voté et ne fait pas mystère de son choix. « Me demander cela, c’est comme demander si l’on peut trouver un Blanc en France », dit-elle dans un grand éclat de rire.
A ses côtés, l’une de ses accompagnatrices ajoute avec ferveur : « Si on devait voter 30, 40, 80 fois pour le président Ouattara, on le ferait. » Devant les bureaux de vote de ce quartier de Yopougon à Abidjan, les files sont serrées et placées sous « la protection » de quelques gros bras.
A quelques encablures de là, dans une autre enclave pro-Ouattara de cette immense commune majoritairement favorable à son prédécesseur Laurent Gbagbo, l’ambiance est identique. Même rangs serrés, même jeunes costauds. Fofana, un élève de l’Ecole nationale de l’administration ne cache pas les motivations qui l’ont poussé à se déplacer : « Nous, les nordistes, on fait bloc derrière le président, car si l’opposition reprend le pouvoir, ils vont à nouveau nous discriminer. »
Dans un autre quartier de la capitale économique ivoirienne, à Treichville, aucun suspense n’anime le dépouillement qui débute. Les électeurs qui se sont déplacés ont voté massivement pour Alassane Ouattara… En dehors peut-être de Rachel qui tient à garder secret son choix et presse le pas. « Je me suis habillée en “mode basket” », dit-elle pour souligner son inquiétude et sa volonté de quitter rapidement les lieux.
Quel taux de participation ?
Depuis que le chef de l’Etat sortant a annoncé, en août, sa décision de briguer un troisième mandat, la Côte d’Ivoire a renoué avec les tensions politiques. L’opposition a appelé à « un boycottage actif » du scrutin et annoncé, avant même que les résultats soient proclamés, qu’elle ne les reconnaîtrait pas. Ceux-ci devraient offrir un plébiscite à Alassane Ouattara mais avec quel taux de participation ? C’est le premier enjeu du vote pour le pouvoir en place. Le second étant sa capacité à sécuriser l’élection sans basculer dans une répression qui ne manquerait pas de le discréditer et d’envenimer encore un peu plus la crise actuelle. Ce samedi 31 octobre, deux Côte d’Ivoire se faisaient face. A Yopougon, dans l’enceinte de l’école William Ponty, le plus important centre de vote du pays, il n’y avait ainsi aucun risque de bousculade. Dans l’un des bureaux, à 11 h 15, un seul bulletin avait été déposé dans l’urne sur plus de 400 inscrits.
A quelques mètres de là, Luc et ses amis se délectent de cette faible affluence. « Ça fait dix ans que Ouattara nous humilie et donne tout à ses gens mais, pour une fois, c’est nous qui l’humilions devant la communauté internationale », explique le jeune homme en colère.
A ses côtés, Joël, bière à la main, est encore plus vindicatif : « A compter de demain, Ouattara ne sera plus mon président, je ne le reconnaîtrai plus, ni lui, ni son gouvernement », dit-il. Il admet avoir suivi le mot d’ordre de désobéissance civile lancée par l’opposition, mais refuse de faire plus que bouder le scrutin : « Ouattara contrôle l’armée. Je ne vais pas aller me faire tuer pour des responsables de l’opposition qui restent chez eux et qui ne donnent même pas l’exemple », lâche-t-il, acclamé par ses amis. Pour lui, l’essentiel est acquis : celui qu’il « déteste » sera « mal élu et devra bientôt lâcher le pouvoir », promet-il.
Abidjan offrait samedi le visage d’une ville anxieuse, tenaillée par la peur que cette élection fasse basculer encore un peu plus le pays dans la violence. Une trentaine de personnes sont mortes en moins de deux mois dans des affrontements entre communautés, chaque parti s’appuyant avant tout sur des soubassements ethniques.
« Pour nous, il n’y a pas eu d’élection »
A Anono, Jean, Donatien et Albert se sont installés derrière quelques barricades. « Les trois centres de vote du quartier sont restés fermés. Pour nous, il n’y a pas eu d’élection. Ce n’est pas une affaire de partis politiques. Il s’agit de la Côte d’Ivoire. Nous, nous sommes Ivoiriens et pas lui. Il est seul contre tous. Il n’avait pas le droit de se présenter à un troisième mandat, alors, il n’a qu’à partir. Pour lui, c’est terminé et, après, nous pourrons nous entendre avant d’aller à de vraies élections », martèle l’un d’eux dans un discours bien rôdé.
Si Abidjan est dans l’ensemble restée calme, des incidents violents ont été signalés dans différents fiefs de l’opposition. Essentiellement à l’est du pays et au Centre-Ouest, où se concentrent les électeurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Front populaire ivoirien.
Lemonde