Alerte, fausses informations ! « Ail + miel : recette miracle pour guérir du Covid-19 ». « Le vaccin contient du poison et les Occidentaux veulent anéantir l’Afrique. » « Les Noirs seraient immunisés contre le coronavirus. » Ces rumeurs infondées ont tourné de téléphone en téléphone en Afrique de l’Ouest au début de la pandémie.
Au Bénin, Etrilabs, un laboratoire d’innovation numérique basé à Cotonou, la capitale économique du pays, en a compilé et démonté des dizaines sur un site Web 100 % Covid-19, créé en mars. Sur la plate-forme, une étiquette rouge signale et décrypte les infox. Un onglet de couleur verte rassemble, au contraire, les bons conseils, vérifiés, que les autorités ouest-africaines ont prodigués aux citoyens au pic de la crise.
« Il y a eu une désinformation totale sur le Covid-19 en Afrique de l’Ouest. Beaucoup de fake news ont circulé. Nous nous sommes vite rendu compte qu’elles étaient plus importantes que la maladie en elle-même, qui nous a très peu touchés », souligne Ayéfèmi Oro, directeur des relations publiques d’Etrilabs.
Ce hub technologique mêlant incubation de start-up, formations au numérique et solutions Web pour organisations, a monté en à peine une semaine sa plate-forme Web dédiée à la pandémie. « On a arrêté toutes nos activités pour se mettre en mode hackathon et apporter une réponse au Covid-19 », ajoute M. Oro.
Suivre en temps réel la crise sanitaire
En plus de démêler le vrai du faux, leur site a aussi rassemblé les statistiques permettant de suivre en temps réel la propagation du virus dans huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Sur la cartographie évolutive d’Etrilabs, un clic sur le Bénin et les données s’affichent : au 25 novembre, 2 916 cas ont été déclarés positifs au nouveau coronavirus et 43 personnes en sont décédées.
Au niveau des huit pays de la zone étudiée, le laboratoire dénombre 72 473 cas et 1 100 décès. Bénin, Burkina Faso, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Togo et Sénégal : là-bas, le Covid-19 a officiellement fait autant de morts en neuf mois qu’il y en a eu en France en à peine trois jours.
En revanche, les économies ouest-africaines ont été frappées de plein fouet. Au Bénin, les mesures de restriction prises par les autorités pour lutter contre la propagation du coronavirus ont contraint des milliers de travailleurs à cesser leurs activités. « Les restaurateurs, les coiffeurs ou encore les chauffeurs se sont retrouvés du jour au lendemain au chômage. Derrière, ce sont des familles entières qui ont été privées de toutes ressources financières », explique M. Oro.
Pour soulager une partie de ces familles désœuvrées, Etrilabs a mis ses outils numériques et sa communauté sur le pont pour organiser une collecte de fonds en ligne. Au total, 2,9 millions de francs CFA (4 420 euros) ont été distribués à plus de 65 familles béninoises impactées par la pandémie.
« Par les Africains, pour les Africains »
« C’est du local, mais c’est du concret », souligne Senam Beheton, directeur d’Etrilabs. En 2009, las de voir son travail de consultant en stratégie numérique auprès de gouvernements ouest-africains ne produire que peu d’effets, l’économiste monte Etrilabs pour agir concrètement sur le terrain. Il imagine alors un laboratoire d’innovation « créé par les Africains, pour les Africains », dont la mission sera d’apporter, via le digital, des réponses concrètes aux problèmes qui se posent sur le continent.
Onze ans plus tard, son laboratoire est présent dans dix pays africains. A Cotonou, le QG est une grande villa à étages de 1 200 m2 où les murs sont soigneusement tagués de citations appelant les entrepreneurs à innover. Partout, les téléphones sonnent et les touches des claviers d’ordinateurs résonnent. Dans les couloirs, les jeunes dirigeants des cinq start-up incubées se croisent et échangent expériences et compétences. Le lieu fourmille. Encore plus, depuis la pandémie.
Attablée à l’une des tables de conférence, Hadjara Idriss, patronne d’une jeune pousse et âgée de 26 ans, regarde les statistiques de sa plate-forme monter en flèche. Lancée en 2018, Sewema propose aux jeunes Africains des cursus de formation en ligne aux métiers du numérique.
« On est passés de 800 apprenants en février à plus de 11 000 en septembre. Et ça continue ! Avant, les gens ne comprenaient pas l’intérêt d’avoir des formations en ligne, mais depuis la crise sanitaire, tout a changé. Les gens comprennent que le numérique c’est l’avenir », sourit la jeune femme. En juin, elle et ses huit collaborateurs en ont profité pour lancer un nouveau service de formations dématérialisées à destination des entreprises. Sewema Business leur permet de disposer de leur propre plate-forme de formation 100 % digitale et personnalisable.
« Toute cette innovation numérique made in Africa, il faut la célébrer », s’enthousiasme M. Beheton, visiblement heureux de voir le continent s’être pour une fois extrait de ses clichés négatifs lors de la pandémie. « Tout le monde pensait que cette crise allait être une catastrophe en Afrique. Finalement, peu de choses se sont passées et, au contraire, l’innovation africaine s’est développée autour de cette pandémie. C’est formidable et il faut le dire. Pour une fois, l’Afrique était là où on ne l’attendait pas », conclut-il.
Lemonde