Une vague d’indignation a gagné le Brésil pendant la Journée de la Conscience noire, vendredi 20 novembre. Des milliers de manifestants ont battu le pavé dans plusieurs grandes villes réclamant justice pour João Alberto Silveira Freitas. La veille, cet homme noir a été tabassé à mort par deux agents de sécurité blancs d’un supermarché Carrefour à Porto Alegre, dans le sud du pays. Une vidéo montrant l’homme de 40 ans être frappé à coups de poing par un vigile sur le parking du magasin, tandis qu’un autre l’immobilise, a choqué le pays.
À la suite de ce drame, l’Organisation des Nations unies (ONU) a dénoncé le « racisme structurel » au Brésil et a demandé une enquête indépendante, dans un communiqué publié mardi 24 novembre.
Ce meurtre « est un cas extrême mais qui reflète malheureusement la violence récurrente envers la population noire au Brésil », a déclaré la porte-parole du Bureau des droits de l’Homme des Nations unies à Genève, Ravina Shamdasani. « C’est une illustration de la discrimination et du racisme structurels auxquels doivent faire face les personnes d’origine africaine » dans ce pays, a-t-elle ajouté lors d’un point presse virtuel.
L’enquête ouverte au Brésil sur ce meurtre doit être « rapide, approfondie, indépendante, impartiale et transparente », a-t-elle dit, ajoutant qu’elle devait « vérifier si la discrimination raciale y a joué un rôle ».
Selon la porte-parole, « le nombre d’Afro-Brésiliens victimes d’homicide est disproportionné si on le compare à tout autre groupe ».
Les chiffres officiels confirment les inquiétudes de l’ONU. Entre 2008 et 2018, 74,4 % des victimes de meurtres étaient noires ou métisses, selon les données du Forum brésilien de la sécurité publique (FBSP). Un chiffre qui monte à 75,7 % pour l’année 2018 seule, selon l’Atlas de la violence 2020 de cette organisation non-gouvernementale, non-partisane et à but non-lucratif.
Selon l’ONG, chaque Afro-Brésilien a 2,7 fois plus de chances d’être tué qu’un Brésilien non-noir. Ce taux a bondi de 11,5 % entre 2008 et 2018.
Des associations et des ONG tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur les violences policières vis-à-vis des Noirs au Brésil. Rien qu’en 2019, 79,1 % des personnes tuées lors des opérations de la police brésilienne étaient elles aussi noires ou métisses. Ces données contrastent lorsqu’on les compare au pourcentage de Brésiliens se déclarant noirs ou métis : 56,7 %.
Dans son communiqué, l’ONU s’inquiète de cet « usage disproportionné de la force », et ce notamment lors des manifestations de ce week-end. Ravina Shamdasani a ainsi demandé que les autorités brésiliennes enquêtent aussi « sur toute allégation concernant un usage disproportionné de la force lors des manifestations antiracistes intervenues après la mort » de João Alberto Silveira Freitas, à Porto Alegre.
Dans plusieurs grandes villes brésiliennes, des milliers de manifestants ont d’ailleurs demandé justice en criant « Les vies noires comptent ». En écho au mouvement Black Lives Matter qui a secoué les États-Unis et plusieurs pays au printemps.
Plusieurs de ces manifestations antiracistes ont eu lieu devant des magasins du groupe Carrefour. Lundi 23 novembre à Porto Alegre, des heurts ont éclaté entre la police et les manifestants, selon un reportage de Deutsche Welle, tout comme dans d’autres villes.
Dans le quartier de Jardim Paulista, à São Paulo, des pierres ont été lancées vendredi 20 novembre contre la façade vitrée d’un magasin Carrefour qui a été envahi. Des marchandises, des vitrines et d’autres installations ont été détruites ou incendiées, selon plusieurs médias locaux et l’Agence France-Presse. « Les mains de Carrefour sont souillées de sang noir », pouvait-on lire sur l’une des banderoles brandies par des manifestants.
L’ONU met en garde les autorités brésiliennes, qui « ont une responsabilité particulière » et doivent « prendre conscience du problème persistant du racisme ». « Cet acte déplorable (…) devrait être condamné par tous », a ajouté le communiqué.
Mais Brasilia ne voit pas les événements de cet œil. Face à la mobilisation, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro a critiqué samedi 21 novembre les mouvements antiracistes, les accusant de tenter d’importer au Brésil des « tensions qui ne font pas partie de son histoire », lors d’un discours au sommet virtuel du G20.
Pour son vice-président Hamilton Mourão, qui s’exprimait au lendemain de la mort de João Alberto Silveira Freitas, « au Brésil, il n’y a pas de racisme ». S’il déplore le drame, Hamilton Mourão a jeté l’huile sur le feu en persistant : le racisme « est quelque chose que certains veulent importer, ça n’existe pas ici. Je vous le dis en toute tranquillité, il n’y a pas de racisme. »
France24