La riposte ne se sera pas faite attendre. Moins d’une semaine après la publication, dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet, d’une étude mettant en cause l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le coronavirus, l’infectiologue Didier Raoult publiait de nouveaux résultats pour défendre son traitement.
« Un diagnostic précoce, un isolement précoce et un traitement précoce avec au moins trois jours d’HCQ-AZ permettent d’obtenir un résultat clinique et une contagiosité nettement meilleurs chez les patients atteints de Covid-19 que les autres traitements », conclut l’étude. Elle s’appuie sur la prise en charge clinique de 3737 patients, dont la majorité (81,7%) ont été traités avec le fameux procédé HCQ-AZ : la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine.
Quelques jours plus tôt, le professeur français démolissait l’étude de The Lancet, qu’il qualifiait de « foireuse ». Cette dernière dénonce l’inefficacité de ses molécules et le risque d’augmentation de l’arythmie cardiaque des patients.
« Comment voulez-vous qu’une étude faite avec des big data change ce que nous avons dit ? […] La question est plutôt de savoir s’il existe une dérive des journaux de recherche médicale […], dans lesquels la réalité tangible est tordue d’une telle manière qu’à la fin, ce qui est rapporté n’a plus rien à voir avec la réalité observable », avançait Didier Raoult.
Et l’infectiologue français n’est pas le seul à être monté au créneau pour critiquer les résultats publiés par The Lancet. L’épidémiologiste marocain Jaâfer Heikel, qui évalue à plus de 94 % le taux de guérison dans la région de Casablanca, a réagi à l’étude et en a soulevé les « limites ».
« Attention, il faut bien comprendre que ce n’est pas une étude clinique mais une analyse de registres de données de différents hôpitaux et pays. C’est évidemment une publication importante qu’il faut considérer pour ce qu’elle vaut : ni plus ni moins», a-t-il fait remarquer. Le Maroc, qui est l’un des premiers pays à avoir adopté le protocole Raoult, et qui revendique un taux de guérison de 60 %, continuera donc bien à utiliser ce procédé pour soigner ses malades.
À en croire l’équipe de Didier Raoult, le Bénin, le Cameroun, le Sénégal, la Guinée, le Congo et la RDC n’y renoncent pas non plus. D’autres pays, comme le Nigeria, l’Algérie, la Tunisie ou le Togo, se sont officiellement prononcés pour défendre l’utilisation de la combinaison HCQ-AZ.
« Il y a eu lieu de constater que l’utilisation de la chloroquine par des pays arabes et africains s’est révélée efficace quand elle est utilisée précocement », a précisé le Dr Mohamed Bekkat, membre du comité scientifique de suivi de l’évolution de la pandémie de Covid-19 en Algérie, ajoutant que les milliers de cas traités avec ce traitement l’ont été avec succès et sans réactions indésirables.
Le Sénégal attend lui avec impatience les résultats qui devraient être publiés mardi 2 juin par le professeur Moussa Seydi, l’infectiologue qui coordonne la prise en charge des malades. Le Sénégalais a fait le choix d’utiliser l’hydroxychloroquine seule, ou associée à l’azithromycine. Le 2 mai, une première analyse réalisée sur 362 patients lui permettait d’évoquer une durée d’hospitalisation plus rapide et des effets secondaires « pas gênants », grâce à ce traitement.
Invité par Jeune Afrique à réagir sur la publication de The Lancet, le professeur Seydi a préféré renvoyer au lien d’un article résumant la position de son confrère marocain Jaâfar Heikel. « Il préfère attendre la publication de ses résultats le 2 juin avant de s’exprimer », avance son compatriote Cheikh Sokhna, chef d’équipe à l’IHU Méditerranée Infection, à Marseille, et proche de Didier Raoult.
Le 28 mai, plusieurs dizaines de scientifiques et de médecins du monde entier – pas tous favorables à l’usage de l’hydroxychloroquine – ont encore enfoncé le clou en publiant une lettre ouverte dans laquelle ils expriment « des inquiétudes liées à la méthodologie » de l’étude relayée par The Lancet et appellent l’OMS à coordonner, enfin, une étude sérieuse et indépendante qui permettrait de trancher la dispute.
Les adeptes de la chloroquine ont beau se serrer les coudes, la décision prise lundi par l’OMS de suspendre « temporairement » les essais cliniques menés avec ses partenaires dans plusieurs pays a fait du bruit dans le monde médical.
En France, le Haut Conseil à la Santé Publique a considéré le 23 mai 2020 que « les données [n’apportaient] pas la preuve d’un bénéfice de l’hydroxychloroquine », relevant également des risques de « toxicité cardiaque ». La France a donc décidé ce 27 mai d’interdire officiellement l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour le traitement des malades du coronavirus.
Au Mali, le ministre de la Santé Michel Sidibé se dit prêt à suspendre l’utilisation de ce produit suite à la décision de l’OMS, ajoutant que les autorités du pays allaient consulter les organisations régionales et leurs voisins à ce sujet. Au Gabon, les autorités ont annoncé poursuivre le traitement à base de chloroquine « avec précaution » et font savoir que « l’association Lopinavir/Ritonavir (…) pourrait être une alternative à l’hydroxychloroquine en cas de nécessité. »
« Rien ne va changer », assure pourtant l’épidémiologiste et biologiste Cheikh Sokhna, qui reprend à son compte le qualificatif de « foireuse » pour désigner l’étude de The Lancet. Il évoque un travail « pas très sérieux » et « biaisé », réalisé en un temps record par quatre auteurs seulement. Une durée trop courte et une équipe trop restreinte pour accomplir un travail « colossal » de nettoyages de données, d’analyse scientifique et de rédaction. « Cette étude n’a même pas été randomisée, alors que c’est justement ce qu’on a reproché à Didier Raoult », relève-t-il.
Et la décision de l’OMS de suspendre ses essais ? « À côté de la plaque », tranche le biologiste. « C’est clair et net que des laboratoires sont derrière cette étude », ajoute Cheikh Sokhna, qui évoque le « conflit d’intérêt » auquel sont soumis les rédacteurs de l’étude. Une critique qui résonne à l’échelle du continent, où l’hydroxychloroquine, disponible et peu coûteuse, conserve pour l’instant les faveurs de la grande majorité des autorités sanitaires.
JeuneAfrique