
Des enfants tués sous les tirs d’un adolescent de 18 ans, armé d’un fusil. Le drame survenu dans une école du Texas ce mardi est effroyable et pourtant si commun aux Etats-Unis. Columbine, Sandy Hook, et maintenant Uvalde. « Il est temps de transformer la douleur en action », a défendu d’emblée le président américain Joe Biden, lors d’une allocution solennelle donnée à la Maison-Blanche. Et comme toutes les fusillades précédentes, la tuerie d’Uvalde n’a pas échappé au réveil du douloureux débat sur les armes aux Etats-Unis. « Quand, pour l’amour de Dieu, allons-nous affronter le lobby des armes ? », a poursuivi Joe Biden lors de son allocution. Farouchement opposé au port d’armes depuis le début de sa présidence, en janvier 2021, le locataire de la Maison Blanche s’est décrit comme « écœuré et fatigué » face à la litanie des fusillades en milieu scolaire.
Un impossible changement
Pourtant, cette tragédie ne risque pas de bouleverser l’Amérique dès demain. Pour Joe Biden, dire qu’il faut durcir la politique en matière d’armes est une chose, y parvenir en est une autre. « La structure même du gouvernement américain fait qu’il est plus facile de jouer défensif qu’offensif », compare Francis Langlois, membre associé de l’Observatoire sur les États-Unis au Canada et spécialiste des politiques liées aux armes à feu. Avant d’expliquer : « Il est préférable de bloquer un projet de loi plutôt que d’en proposer un. Tout ce que le lobby d’armes à feu a à faire, c’est de convaincre assez de gens de ne pas voter pour certains projets de lois ».
En 2012, déjà, Barack Obama et son vice-président – le même Joe Biden – avaient cherché à contrôler les armes à feu aux Etats-Unis. Qualifiant l’essai de « plutôt modeste », le spécialiste Francis Langlois revient sur un loupé politique orchestré par un puissant lobby : « La National Rifle Association (NRA) avait réussi à convaincre assez de sénateurs – 45 – pour que le projet de loi ait le minimum de 60 requis pour passer cette loi. C’est la même chose qui est en cours actuellement. Le président Biden a proposé une loi pour renforcer le contrôle, mais il n’arrive pas à obtenir la majorité ».
Une infiltration réussie
Véritable locomotive des lobbies des armes à feu, la NRA est certainement un des réseaux les plus puissants en Amérique. Pourtant, selon Francis Langlois, le lobby ne tient pas forcément sa puissance d’une fortune colossale, « contrairement aux firmes pharmaceutiques par exemple ». Là où la NRA a su montrer sa force, c’est plutôt avec sa capacité à mobiliser. « Dès les années 1970-1980, elle a réussi à s’infiltrer et à rentrer à tous les niveaux de la politique américaine, que ça soit de l’Etat ou au niveau fédéral. Elle a un réseau de lobbyistes très efficaces », résume l’historien spécialiste des Etats-Unis.
Mais depuis quelques mois, la NRA est en perte de vitesse après de nombreuses affaires peu reluisantes pour l’association. En août dernier, l’Etat de New York a par exemple annoncé porter plainte pour fraude financière contre son patron Wayne LaPierre et plusieurs autres dirigeants, accusés de fraude massive et d’importants détournements de fonds. Menacée d’une perte de 63 millions de dollars, la NRA a échappé à sa dissolution. Mais deux mois plus tôt, la NRA s’est quand même déclarée en faillite pour se protéger des sanctions qu’elles risquaient dans l’Etat de New York.
Car, au-delà de la question de la justice, la NRA va mal financièrement. « L’association avait des revenus assez substantiels grâce à la vente de différents produits notamment des assurances contre les poursuites pour négligence [après un drame survenu lors de l’utilisation d’une arme à feu]. Sauf que la plupart des Etats ont commencé à réfléchir à l’utilisation excessive des armes et ont aboli cette autorisation, alors que c’était une grande source de revenu », note notre interlocuteur.
D’autres associations plus radicales
Face au risque de corruption, certains adhérents décident parfois de quitter le navire. « On voit un peu partout aux Etats-Unis des associations qui sont en train de dépasser la NRA par la droite. Ils prennent des positions encore plus extrêmes sur la libéralisation des armes à feu et accusent la NRA d’être une marionnette dans la main du gouvernement. Ces partisans disent qu’ils n’ont plus besoin du parapluie de la NRA », souligne Francis Langlois.
Un message plus radical dans une Amérique divisée sur le port d’armes. Pourtant, selon le spécialiste, « qu’ils s’agissent des pro ou des anti-armes à feu, nombreux restent convaincus qu’un amendement constitutionnel ne peut pas être modifié et la plupart des gens sont d’accord avec le fait que quelqu’un puisse porter une arme à feu. Mais ils sont pour un resserrement du contrôle des armes à feu. »
A quelques jours du Congrès annuel de la NRA, Francis Langlois se dit persuadé que la tuerie du Texas ne changera pas le discours entendu chez les pro armes. « Le débat pourrait même aller encore plus loin dans la déréglementation », conclut-il. L’idée de la NRA ? Limiter au maximum l’interventionnisme de l’État sur le 2nd amendement.
AFP et 20Minutes