C’est donc officiel, il y a des humains sur cette Terre que Luis Enrique ne déteste pas. Interrogé sur ce qui est considéré depuis plusieurs heures comme un scandale par nos confrères espagnols, toujours dans la mesure, à savoir le but de la victoire de Kylian Mbappé à la 80e, le sélectionneur de la Roja s’est contenté d’un renvoi en touche que les meilleurs arrières du rugby n’auraient pas renié. « Je sais que vous avez envie que je parle, mais je ne rentrerai pas dans ce jeu-là, a répondu Enrique en conférence de presse. Ça fait dix ans que j’entraîne et personne ne m’a entendu mal parler des arbitres. »
Ses joueurs se sont en revanche faits moins discrets, et on peut les comprendre. Mettons, pour une fois, notre insatiable mauvaise foi de côté et posons le contexte. Kylian Mbappé reçoit le ballon en légère position de hors-jeu, part défier Unai Simon et conclure le bazar comme il sait si bien le faire. Bravo à lui de ne pas s’être laissé perturber par sa potentielle position irrégulière comme a pu le faire Karim Benzema sur son duel avec le gardien espagnol en tout début de match, fermez la parenthèse.
« J’ai du mal à le comprendre »
S’ensuit un VAR-check de deux bonnes minutes. L’arbitre est entouré de joueurs espagnols, qui attendent une bonne nouvelle en direct du camion glacier posté à l’extérieur de San Siro. Celle-ci n’arrivera pas. Stupéfaction, le but est validé sans qu’on sache pourquoi. La théorie de « l’angle de vue des arbitres VAR qui diffère peut-être du nôtre en tribunes » a été évoquée sur le pupitre voisin, sans grande conviction. Même Sergio Busquets, pourtant pas le dernier à flirter avec les zones grises des règles du foot, est estomaqué.
« L’arbitre nous a dit qu’Eric Garcia voulait jouer le ballon et que ça annule le hors-jeu. Mais il voulait jouer le ballon car le ballon aurait atteint Mbappé qui était hors-jeu ! Ça n’a pas de sens ! » Même version des faits chez Cesar Azpilicueta. « Le hors-jeu est clair, mais l’arbitre dit qu’Eric Garcia a la possibilité de jouer (le ballon). Il ne prend pas la décision, c’est la VAR qui décide et ça, j’ai du mal à le comprendre. » Pour faire clair, Eric Garcia touche le ballon ou exprime l’intention de le faire et, de ce fait, remet Kylian Mbappé en jeu. Ça peut paraître fou, mais c’est possible si on applique cette règle en vigueur depuis une bonne dizaine d’années.
Que dit le règlement, justement ?
« Un joueur en position de hors-jeu qui reçoit un ballon joué délibérément par un adversaire, y compris de la main ou du bras, n’est pas considéré comme tirant un quelconque avantage de sa position, sauf en cas de sauvetage délibéré par un adversaire, peut-on lire dans le règlement de l’Ifab (International Football Association Board). Effectuer un sauvetage consiste à intercepter, ou tenter d’intercepter, le ballon qui se dirige vers le but avec n’importe quelle partie du corps à l’exception des mains ou des bras (sauf le gardien dans sa propre surface de réparation). »
En gros, et comme l’explique sur son compte Facebook l’ancien arbitre italien Luca Marelli, lequel précise en préambule ne pas être fan de ladite règle, si Eric Garcia avait involontairement touché le ballon, par exemple du talon parce qu’il courait vers son but en étant dos au jeu, Mbappé aurait été considéré hors-jeu. Mais dans le cas présent, l’arbitre considère qu’il y a intervention volontaire de l’Espagnol, et que celle-ci crée une nouvelle action, dans laquelle le numéro 10 des Bleus n’est pas en position irrégulière.
Application d’une règle absurde
L’absurdité étant, comme l’a remarqué Busquets, que c’est un joueur en position de hors-jeu qui pousse Garcia à commettre un acte qui remet l’attaquant en jeu. Si le défenseur de la Roja était resté comme un plot à attendre que Mbappé fasse sa besogne, il n’y aurait pas eu but. Mais à quel moment, dans le feu de l’action et sans vision latérale du jeu, un défenseur peut-il avoir la lucidité de se désintéresser du jeu, avec toutes les conséquences que ça peut avoir s’il juge mal la situation (ici, laisser filer un attaquant en un-contre-un avec le gardien) ? Conclusion : la décision se comprend au vu d’une règle qu’il convient de revoir. Et on peut donc difficilement en vouloir aux Espagnols de râler.
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