
A l’hôtel La Badira, à Hammamet, une station balnéaire du cap Bon (nord-est), les canapés de la réception sont recouverts de housses en plastique. Il n’y a plus guère de chaises longues ni de parasols au bord de la piscine donnant sur la mer. La même atmosphère fantomatique règne dans les couloirs menant aux chambres. Devant quelques portes, des sacs-poubelles attendent d’être ramassés, unique trace des derniers occupants de cet hôtel luxueux : des Tunisiens rapatriés de l’étranger et mis en confinement obligatoire durant quatorze jours à La Badira comme dans d’autres établissements du pays.
Près de 7 000 chambres d’hôtels sont occupées à cette fin et le gouvernement souhaiterait monter à 15 000 pour terminer de mener à bien ses opérations de rapatriement. « Nous avons ouvert des chambres pour une cinquantaine de personnes. Les conditions sont très strictes, elles n’ont pas les clefs de la chambre pour éviter les allées et venues. Elles doivent faire elles-mêmes le ménage et c’est une société payée par l’Etat qui leur apporte la nourriture », témoigne Mouna Ben Allani Halima, la propriétaire de La Badira. Cette dernière leur a malgré tout fourni des stocks de shampoing et quelques accessoires, même si ces résidents ne payent pas leur hébergement.
Comme d’autres hôteliers de la région, elle a souhaité s’engager face à la crise, mais n’en ressent pas moins un peu de désillusion. « On nous demande de confiner des rapatriés et de participer à un effort de solidarité nationale, mais nous n’avons reçu aucun soutien ou aide en retour. Je ne comprends pas pourquoi l’Etat ne nous paie pas à nous les 50 dinars (16 euros) que lui coûte par jour un confiné pour les repas, au moins nous pourrions faire travailler une ou deux personnes de l’hôtel et donner des plats chauds aux résidents », soupire-t-elle.
« Extrême fragilité »
La situation est d’autant plus épineuse pour les hôteliers que beaucoup d’entre eux sortent d’une basse saison avec peu de trésorerie. Et surtout, la crise du Covid-19 devrait les mettre en difficulté pour longtemps. « Nous risquons de rouvrir les derniers avec le déconfinement. Nous ne savons même pas ce qu’il en sera pour l’été et si nous pourrons au moins accueillir une clientèle locale », ajoute Mouna Allani Ben Halima.
Après des années de vaches maigres, dues notamment aux attentats de 2015 à Tunis et à Sousse, le secteur avait commencé à se redresser. Plus de 9 millions de touristes ont visité le pays en 2019. Mais une nouvelle période difficile s’annonce, sans même compter l’ardoise laissée par la faillite du tour-opérateur Thomas Cook en septembre 2019, avec quelque 60 millions d’euros d’impayés. Le ministère du tourisme planche actuellement sur un protocole sanitaire post-Covid, alors que la Tunisie va amorcer un déconfinement partiel à compter du 3 mai. Mais la Fédération tunisienne de l’hôtellerie prévoit un impact sévère pour la saison estivale. D’autant que la France, l’un des premiers marchés touristiques vers la Tunisie, n’envisage pas pour le moment de reprise du trafic aérien avant septembre. Entre janvier et le 20 avril, les recettes touristiques ont déjà baissé de 15 % sur un an, selon la Banque centrale.
Le monde