C’était l’un des derniers ponts jetés entre l’Algérie et le Maroc et il est sur le point de rompre. Le gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui relie depuis 1996 les gisements algériens d’Hassi-R’Mel au Sahara à l’Europe via le Maroc sur un tronçon de 540 kilomètres, pourrait bientôt cesser de fonctionner. Le contrat de transit qui lie les deux voisins maghrébins arrive à expiration le 31 octobre. Et si l’Algérie ne l’a pas dit en termes clairs, elle semble décidée à contourner le royaume chérifien pour acheminer son gaz vers le Vieux Continent.
Lors d’une rencontre avec l’ambassadeur d’Espagne jeudi 26 août, deux jours seulement après la rupture diplomatique avec le Maroc annoncée par Alger, le ministre algérien de l’énergie et des mines, Mohamed Arkab, s’est engagé « à couvrir l’ensemble des approvisionnements de l’Espagne en gaz naturel à travers le Medgaz », selon l’agence de presse officielle APS.
En d’autres termes, Alger concentrera désormais l’acheminement de son gaz naturel vers l’Espagne sur un seul conduit, celui qui raccorde directement Beni Saf, dans l’ouest algérien, à Almeria, dans le sud de l’Espagne.
Une perte qui serait sévère pour le Maroc
Alors que le gazoduc qui transite par le Maroc est doté d’une capacité de 13 milliards de m3 par an, le Medgaz, lancé en 2011, n’a qu’une capacité initiale de 8 milliards de m3. Mais il devrait pouvoir acheminer 10 milliards de m3 d’ici à la fin de l’année, a annoncé en juin le groupe public pétro-gazier algérien Sonatrach. Premier fournisseur en gaz de l’Espagne en 2020, l’Algérie a exporté 9,6 milliards de m3 vers la péninsule ibérique.
En mai et juin, les spéculations sur un arrêt des négociations du contrat par le roi marocain Mohammed VI allaient bon train dans la presse espagnole, alors que le Maroc et son voisin européen connaissaient une période de crise liée à la question du Sahara occidental et à l’afflux de migrants marocains vers l’enclave espagnole de Ceuta.
Depuis, le Maroc a clarifié sa position en affirmant sa volonté de prolonger le contrat GME. « C’est notre volonté, telle que nous l’avons exprimée verbalement et par écrit, publiquement et dans les discussions privées, toujours avec la même clarté et la même constance », a indiqué, le 19 août, Amina Benkhadra, directrice générale de l’Office marocain des hydrocarbures et des mines.
La non-reconduction du contrat GME, qui figure comme l’un des seuls partenariats économiques notables entre les deux Etats du Maghreb, porterait « un coup assez sévère » au Maroc, décrypte Mourad Preure, spécialiste des questions énergétiques et ancien cadre de Sonatrach. « Le Maroc, ajoute-t-il, bénéficie des droits de passage et va perdre entre 800 000 millions et un milliard de mètres cubes de gaz qu’il achète dans de bonnes conditions depuis une source qui lui est proche. »
Alger ne ferme pas la porte aux négociations
Le gaz algérien permet au royaume voisin d’alimenter en partie deux centrales électriques et de bénéficier de frais de transit estimés à un peu plus de 50 millions de dollars en 2020, le chiffre variant selon les exportations gazières algériennes.
Alger, de son côté, n’a pas complètement fermé la porte aux négociations et le doute sur l’avenir du contrat GME persistera jusqu’au 31 octobre. Interrogé lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, mardi 24 août, le ministre algérien des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a répondu qu’« il y a des considérations qui sont soumises aux traités internationaux » et que la décision « relève de la responsabilité de la société nationale Sonatrach et de ses partenaires ».
« Le ministre algérien des affaires étrangères a dit qu’il s’agissait d’un problème commercial. Il n’a pas voulu, à son niveau, politiser la vente du gaz naturel algérien que ce soit aux Espagnols, aux Marocains ou autres », précise un ancien haut responsable algérien.
Lemonde