Silvere Salga a des idées à revendre. Ecrivain, auteur de théories originales sur la pluviosité, l’ancien étudiant en géographie de l’université de Ouagadougou est aussi l’inventeur du « grenier frais » comme certains, au Burkina Faso, ont baptisé sa dernière trouvaille.
Plus concrètement, le jeune homme de 29 ans a imaginé une chambre froide fonctionnant avec 100 % d’énergie solaire. A priori, le concept a tout pour séduire largement dans ce pays du Sahel, baigné d’un soleil généreux, et dont le secteur agroalimentaire souffre de pertes massives provoquées par la quasi-inexistence de chaînes de conservation.
D’ailleurs, les clients potentiels sont déjà là. Pourtant le projet, baptisé Salgatech, a failli en rester au stade de l’ébauche. « J’avais besoin de fonds. Mais l’innovation, dans nos contrées, ce n’est pas toujours très bien perçu par les banques », résume-t-il.
L’horizon de l’entrepreneur s’est finalement débouché grâce au nouveau programme I & P Accélération au Sahel (IPAS), lancé à l’été 2020 pour accompagner des start-up et petites entreprises de la région sahélienne. Salgatech s’est ainsi vu accorder un financement de 39 millions de francs CFA (environ 60 000 euros). De quoi, espère son concepteur, commencer à développer une production semi-industrielle de ce système qui, parie-t-il, aura des « effets positifs sur toute l’économie burkinabée ».
Un véhicule d’investissement pour le Sahel ? L’initiative peut sembler surprenante dans une région avant tout connue comme le théâtre de crises à répétition. La situation s’est d’ailleurs lourdement dégradée depuis deux ans, sous l’effet de l’instabilité sécuritaire et désormais, le Sahel compte 1,5 million de déplacés et 7,4 millions de personnes souffrant de la faim, selon un bilan établi par l’ONU à la mi-octobre. A la violence alimentée par des groupes djihadistes s’ajoutent les répercussions de la pandémie de Covid-19, en passe de faire basculer 6 millions de personnes de la région dans la pauvreté.
« Croissance stratosphérique »
Mais ce tableau-là ne dit pas tout, selon les fondateurs d’IPAS. Le programme est piloté par le groupe Investisseurs & Partenaires (I & P), pionnier de l’investissement dans les petites et moyennes entreprises en Afrique subsaharienne. Il est financé par l’Union européenne à hauteur de 15,5 millions d’euros et doit bénéficier à 300 entreprises de la région sahélienne. L’objectif : s’adresser à la frange la plus dynamique de la population pour favoriser la création d’emplois, un besoin pressant dans des pays où la démographie explose, au risque d’accentuer le chômage et le mal-développement.
Or depuis le lancement il y a cinq mois à peine, « nous avons été surpris par l’importance du potentiel, le nombre d’entreprises intéressantes et de personnalités prometteuses, dans une région parmi les plus défavorisées au monde et à une période particulièrement difficile », indique Jean-Michel Sévérino, le président d’I & P. Un avantage de la zone est que les marchés y sont souvent vierges : tout reste donc à inventer. « On peut créer une boîte qui fabrique juste des bancs et des chaises et qui connaîtra une croissance stratosphérique », poursuit M. Severino.
Investir dans de jeunes sociétés du Sahel demeure un exercice assez particulier. Le programme s’autorise d’ailleurs un taux d’échec de 40 % à 50 % des projets sélectionnés. De fait, les entrepreneurs accompagnés par IPAS témoignent souvent d’une culture financière très relative et d’une faible aisance dans les milieux institutionnels. Novices, ils doivent découvrir et s’approprier toutes les composantes de leur nouveau rôle.
Dans un tel contexte, le soutien délivré aux entreprises n’est pas purement financier. Il relève aussi largement de l’assistance technique, via des formations et des missions d’expertise. Un enjeu clé, estime Silvere Salga : « Ce qu’il manque trop souvent ici, c’est l’environnement adéquat pour accompagner les jeunes en profondeur. L’entrepreneuriat, c’est une belle solution, mais il ne suffit pas d’aller chercher de l’argent en étant bien sapé ! »
Lemonde